Phil Craft est un apiculteur et ancien inspecteur apicole dans le Kentucky, aux États-Unis, aujourd’hui à la retraite. Il a été rédacteur pour le magazine Bee Culture pendant de nombreuses années, et continue à partager ses connaissances à travers des présentations faites aux apiculteurs lors d’évènements locaux ou nationaux. Phil est un passionné d’apiculture, il continue encore aujourd’hui de s’occuper de ses 20 ruches, et travaille comme conseiller technique aux Etats-Unis pour Véto-pharma.
Les contrôles des ruches au printemps sont importants afin d’évaluer l’état des ruches en sortie d’hiver, et pouvoir réagir rapidement en cas de problème. Cependant, alors que je suis assis dans mon bureau et que je regarde la neige tomber, je me rappelle que nous sommes toujours en hiver. Les abeilles présentes dans mes ruches ont resserré leurs grappes l’automne dernier, lorsque les températures ont chuté en dessous d’environ 10 °C. Une manipulation précoce perturberait la grappe et pourrait causer des dommages à la colonie. Même lorsque les jours se réchauffent, les températures nocturnes peuvent facilement descendre sous les -1 °C. Cependant, tout comme vous, je suis très curieux de découvrir ce qui se passe dans mes ruches durant cette période de l’année. Bien qu’il fasse désormais trop froid pour les ouvrir, des températures plus chaudes reviendront.
Alors que les journées se réchauffent au début du printemps, ou même dès la fin de l’hiver, j’étudie les divers scenarii qui ont pu se produire dans mes ruches :
Cela me laisse avec deux objectifs précis dès le début de l’année : évaluer la taille des grappes et vérifier les réserves alimentaires. Les deux peuvent être réalisés en perturbant la grappe le moins possible, c’est à dire sans soulever les cadres.
Au début du printemps ou même pendant les journées plus chaudes de la fin de l’hiver, par temps ensoleillé, lorsque les températures atteindront les 10 à 15 °C, j’effectue un rapide contrôle sur mes colonies.
Je retire le couvercle et le revêtement extérieur [ndlr : les apiculteurs situés dans des régions froides d’Amérique du Nord ont tendance à isoler leur ruche par l’extérieur, en utilisant des housses isolantes] ; puis j’estime la population du corps supérieur de la ruche en regardant entre les cadres ceux qui semblent être recouverts d’abeilles [ndlr : pour rappel, les apiculteurs américains travaillent principalement avec des ruches Langstroth à double corps].
Je soupèse ensuite le corps supérieur de la ruche. Son poids me donnera une idée de la quantité de nourriture dont la colonie a besoin pour supporter les derniers jours de froid. Un corps lourd m’assure que les réserves sont nombreuses. Si je parviens à le soulever sans effort, je sais que je dois ajouter un nourrissement supplémentaire en urgence. En général, arrivé au milieu de l’hiver, la plupart des réserves alimentaires dans le corps inférieur ont été consommées, et les abeilles sont très dépendantes de ce qui reste dans celui du haut. Pendant que le corps supérieur est retiré, j’observe celui du bas afin d’avoir une idée du nombre d’abeilles qui s’y trouvent. Arrivé au milieu de l’hiver, la grappe s’est le plus souvent entièrement déplacée dans le corps supérieur, je ne suis donc pas inquiet si je n’en vois pas beaucoup en bas. J’ai ainsi obtenu le plus d’informations utiles possible sans avoir déplacé les cadres, et peux maintenant réassembler la ruche.
Le but d’une inspection si superficielle, hormis satisfaire la curiosité, est d’évaluer l’état des ruches afin de pouvoir réagir. Bien qu’il soit trop tard pour venir en aide à une ruche faible, trouver de nombreuses abeilles dans les corps supérieurs et inférieurs indique qu’une colonie redémarrera rapidement au printemps. Cela peut aussi indiquer un potentiel futur essaimage, si l’apiculteur n’y est pas préparé. En me basant sur une vérification précoce de la ruche, il se peut que je commande des reines afin d’anticiper des divisions de colonies et nucléis. Je m’assurerai également d’avoir suffisamment de cadres et fondations disponibles.
Un manque de réserves de nourriture peut être corrigé immédiatement. Si le corps supérieur est léger, j’ajoute une « pâte hivernale » achetée chez un fournisseur apicole. Les « pâtes hivernales » [ndlr : appelées « winter patties », très utilisées en Amérique du Nord mais peu répandues en Europe. Ne pas confondre avec le « candi » sucré] sont différentes des « pâtes protéinées » ou des « substituts de pollen » qui alimentent les colonies plus tard dans l’année. Elles ne contiennent que très peu voire pas de protéines, et sont toutes ou presque entièrement composées de sucre, remplissant ainsi la même fonction que le miel stocké. Fournir du pollen ou des protéines trop tôt dans la saison encouragerait la ponte de la reine. Un élevage du couvain débutant trop tôt, en particulier dans une ruche où les réserves alimentaires sont faibles, entraînerait une famine et serait contre-productif pour l’alimentation d’urgence. Cela peut également entraîner un essaimage précoce, avant que l’apiculteur n’ait l’occasion de l’empêcher. Les pâtes hivernales sont placées directement sur les cadres du corps de ruche supérieur.
Le « candi » (ou « fondant ») est une autre option. Le candi est un sirop de sucre extrêmement saturé, produit par ébullition, qui devient solide à température ambiante. Il est à placer sur les cadres supérieurs de la ruche, généralement dans une poche plastique dans laquelle on fait des entailles. Vous pouvez en acheter très facilement chez votre fournisseur de matériel apicole. À l’intérieur de la ruche, l’humidité produite par la grappe ramollit le candi, ce qui facilite sa consommation pour les abeilles. En dernier recours (si pas d’autre alternative), on peut aussi saupoudrer du sucre (par exemple sur une feuille à l’intérieur de la ruche), qui sera ingéré par les abeilles et fournira des calories d’urgence. La meilleure nourriture en hiver est celle que vous avez sous la main et que vous pouvez fournir à la ruche avant que la météo ne devienne trop froide pour la rouvrir.
Gardez les inspections plus approfondies quand les conditions météorologiques seront plus favorables, ce qui peuvent arriver dans ma région dès la mi-février, mais plus généralement en mars. Il y a cependant eu des années où je n’ai pas pu faire de « vraie » visite dans mes ruches avant avril. Ce n’est pas le calendrier qui doit vous guider, mais plutôt les prévisions météorologiques à long terme. Les apiculteurs expérimentés développent un instinct pour reconnaître les bonnes conditions ; les débutants ont tendance à préférer suivre des règles spécifiques pour ne pas se tromper. Voici ce que je leur conseille :
Avec l’arrivée du printemps et une fois que les abeilles ont commencé à ramener du pollen, vos colonies devraient élever beaucoup de couvain. Observez les larves (couvain ouvert) et les pupes (couvain fermé). Les colonies les moins populeuses auront logiquement moins de couvain. Le couvain sera situé près du centre de la grappe, là où les abeilles pourront le garder au chaud. Si vous voyez un certain nombre de cadres de couvain, disons quatre ou plus, c’est que le redémarrage de la colonie a bien commencé. Je vous conseille de prendre des notes pour chaque ruche, en enregistrant le nombre de cadres sur lesquels vous voyez du couvain. Ces informations vous aideront, au fil du printemps, à juger de la croissance de chaque ruche.
À mesure que vous progressez dans le printemps, vous devrez également effectuer des contrôles plus approfondis des réserves alimentaires, à la fois du miel et du pollen :
Ces réserves permettront aux colonies de traverser les vagues de froid qui pourraient encore arriver, ou les longues périodes de pluies durant lesquelles les butineuses ne pourront pas sortir de la ruche. Encore une fois, prenez note des réserves alimentaires des ruches, en particulier pour celles que vous pensez faibles et qui ont besoin d’être nourries.
Les abeilles sont le troisième élément à vérifier, bien qu’étant le plus évidents à observer. Notez le nombre de cadres recouverts d’abeilles pour avoir une idée de la santé de la colonie. Une ruche sortant de l’hiver avec 7 ou même 8 cadres couverts [ndlr : sur une ruche 10 cadres à double corps] est une ruche en bon état. Ici dans le Kentucky, j’espère avoir des ruches pleines d’ici Avril, lorsque le flot de nectar est important, et que les abeilles commencent à produire du miel en plus grande quantité. A ce moment-là, il est temps d’ajouter des hausses. Mais le calendrier varie selon les régions : les apiculteurs plus au nord n’atteindront pas ce stade avant Mai, voire plus tard, alors que les ruches dans le sud seront peut-être déjà en pleine production.
La progression est cependant la même dans les régions du monde qui connaissent l’hiver. Le cycle hivernal typique de la grappe d’abeilles est de consommer tout le miel du corps inférieur par temps froid, puis de remonter avant le début du printemps. Lors de votre première inspection, vous verrez très probablement toutes les abeilles, couvain, œufs, et autres activités dans le corps supérieur de vos ruches. Les corps inférieurs peuvent être pour la plupart vides, avec quelques abeilles, mais pas encore de couvain ni de miel. C’est normal pour le début du printemps et ce n’est pas nécessairement un inconvénient. Cela donne aux colonies la possibilité de se développer au cours du mois suivant, réduit les risques d’essaimage précoce (on l’espère !), et permet aux colonies de commencer à atteindre leur pleine capacité plus tard au printemps, à mesure que le flux de nectar augmente. Je suggère de revérifier vos ruches quelques semaines après, si le temps le permet. D’ici là, vous devriez vous attendre à voir la zone de couvain s’étendre dans les corps de ruche inférieurs.
Un conseil, surtout si vous êtes un apiculteur débutant : lorsque je soulève les cadres au début du printemps, je fais attention à les remettre dans le même ordre que je les enlève. Je ne fais pas ça toute l’année. Plus tard, au printemps, je réorganiserai ou retirerai des cadres (pour les remplacer par d’autres) afin de contrôler la production de couvain, pour ESSAYER d’empêcher l’essaimage, ou pour d’autres raisons de gestions. Mais pour le moment, avec les nombreuses nuits froides à venir, je fais très attention de ne pas perturber le regroupement naturel des colonies, qui se concentre autour du couvain et des cadres de nourriture adjacents.
Vous avez peut-être remarqué que, dans mes suggestions de choses à vérifier, je n’ai pas mentionné la recherche de reines. Il n’est pas nécessaire de le faire. La présence d’œufs ou de couvain (surtout de larves) nous indique que les reines sont actives dans nos ruches. Il n’y a même pas besoin de rechercher des œufs lors de ces premières inspections printanières. Je le fais parfois mais ce n’est pas vraiment nécessaire et cela prend plus de temps. Je suis convaincu que mes observations sur les larves et les pupes me donnent les informations dont j’ai besoin sur l’état des ruches. S’il n’y a pas de couvain ou d’œufs dans une ruche en particulier, c’est le moment de rechercher la reine.
En plus de vérifier le couvain, la nourriture et les abeilles, vous devriez rechercher tout signe de maladie, de nuisibles, ou de parasites. Le varroa est l’une des causes principales de pertes de colonies, et le suivi d’infestation du varroa au printemps est le plus important. Même si vous avez traité à l’automne dernier, un contrôle au début du printemps est essentiel pour connaître le niveau d’infestation varroa dans vos colonies, d’autant plus s’il n’y a pas eu de traitement hivernal hors couvain. Le suivi d’infestation peut être réalisé très facilement à l’aide d’outils tels que le Varroa EasyCheck. Vous saurez alors s’il est nécessaire de mettre en place un traitement rapide avant la pose des hausses, ou des méthodes zootechniques.
Concernant les autres maladies/parasites, il peut être difficile pour les nouveaux apiculteurs de les diagnostiquer. La meilleure chose à faire est d’apprendre à quoi ressemble « la normale » et de garder un œil sur « l’anormal ». Si vous voyez quelque chose qui semble sortir de l’ordinaire, demandez l’aide de votre vétérinaire, de votre TSA, ou même d’un autre apiculteur plus expérimenté.
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