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Le rôle des pesticides dans l’explosion de l’infestation par Varroa chez les abeilles 

Table des matières

De plus en plus d’apiculteurs rapportent des pics d’infestations par Varroa destructor après avoir déplacé leurs abeilles vers certaines cultures. Ce phénomène inquiète, car il met en lumière les interactions entre les pesticides et les parasites qui affectent la santé des abeilles. Une étude récente de Bartlett et al. (2024) a examiné comment l’exposition aux néonicotinoïdes aggrave les infestations de varroa, renforçant l’idée que ces produits chimiques augmentent la vulnérabilité des colonies face aux acariens et à d’autres facteurs de stress. 

1. Néonicotinoïdes et santé des abeilles

Les néonicotinoïdes, une classe d’insecticides systémiques, ont été largement utilisés en agriculture pour leur efficacité contre de nombreux ravageurs. Cependant, leur impact sur les pollinisateurs, notamment les abeilles, a suscité de nombreuses recherches et mené à des régulations strictes [3-4]. Des substances comme le clothianidine et le thiaméthoxame sont connues pour affecter le système nerveux des insectes, provoquant paralysie et mort à fortes doses [5-6]. À des doses sublétales, elles peuvent perturber le comportement des abeilles, comme le butinage, l’apprentissage et la mémoire, compromettant ainsi la santé et la productivité des colonies [7]. En Europe, les néonicotinoïdes sont interdits, l’utilisation de pesticides alternatifs a augmenté. Quel impact ces nouveaux produits ont-ils sur le varroa et la santé globale des abeilles? 

2. Mécanismes d'interaction entre les néonicotinoïdes et le varroa

Bartlett et al. 2024 [2] montrent que l’exposition à des concentrations de néonicotinoïdes pertinentes sur le terrain augmente la gravité du parasitisme par Varroa destructor dans les colonies d’abeilles : « Nous trouvons également des preuves d’un effet néfaste de l’exposition aux néonicotinoïdes sur les colonies, où à la fois les taux de chute des varroas […] et les comptages par lavage […] étaient plus élevés dans les colonies exposées aux néonicotinoïdes ; les colonies exposées aux néonicotinoïdes avaient en moyenne 5,3 […] varroas de plus en chute en 24 heures et 1,11 […] varroas phorétiques de plus par 100 abeilles […]. » 

Cette interaction pourrait résulter de plusieurs mécanismes :

1. Immunosuppression: L’exposition aux néonicotinoïdes peut affaiblir le système immunitaire des abeilles, les rendant plus vulnérables aux varroas et aux infections virales associées [8]. Une étude récente publiée dans Nature a également révélé une augmentation significative de la fertilité des varroas exposés au clothianidine, avec une hausse moyenne de 23 % des acariens reproducteurs [9] : « La fertilité des varroas (proportion de femelles reproductrices sur le total des femelles Varroa utilisées dans l’expérience) sur les pupes d’abeilles traitées avec 0,01 ppm de clothianidine à l’état larvaire était significativement plus élevée que chez les abeilles témoins […] de 23 %, en moyenne […]. Cette augmentation est probablement due à l’immunosuppression de l’hôte, facilitant l’activité alimentaire des acariens.. »

De plus, l’infestation par les varroas était significativement plus élevée dans les colonies exposées au clothianidine : « Nous avons observé que l’infestation par les acariens dans les ruches contaminées par le clothianidine pouvait être 1,4 à 2,0 fois plus élevée que dans les ruches non contaminées, selon la saison. Ce résultat correspond aux observations faites sur le terrain, où une infestation accrue, de 1,4 à 2,4 fois, a été constatée dans les ruches situées près de champs de maïs traités avec des semences enrobées de néonicotinoïdes. »

2. Changements de comportement : L’exposition à des doses sublétales de néonicotinoïdes peut perturber le comportement des abeilles, réduisant leur capacité à effectuer des tâches essentielles, comme le toilettage, qui joue un rôle crucial dans la gestion des varroas [10]. Ce dysfonctionnement comportemental peut ainsi conduire à une augmentation de la charge parasitaire au sein de la colonie.

3. Toxicité synergique : Les organophosphates et pyréthrinoïdes ont été associés à une augmentation des charges virales chez les abeilles, où l’impact global sur leur santé dépasse la somme des effets individuels. Cette synergie toxique peut entraîner une mortalité plus élevée et une résilience réduite des colonies [11].

3. Classes de pesticides et leurs mécanismes

Des recherches en laboratoire et des études de terrain ont apporté des preuves sur l’impact des pesticides agricoles sur les colonies d’abeilles et la dynamique des varroas :

 

  1. Pyréthrinoïdes: Ces insecticides, largement utilisés pour leur activité à large spectre, incluent des substances comme le tau-fluvalinate, souvent employées en apiculture pour lutter contre le varroa. Cependant, des études ont montré que les varroas peuvent développer une résistance à ces pyréthrinoïdes, réduisant ainsi l’efficacité des traitements au fil du temps. Cette résistance permet aux acariens de proliférer, conduisant à des taux d’infestation plus élevés [12-14].

 

  1. Organophosphates: Ces produits chimiques, comme le chlorpyrifos, agissent en inhibant l’acétylcholinestérase, perturbant ainsi le système nerveux des insectes. Les recherches montrent que les organophosphates peuvent induire une toxicité aiguë et chronique chez les abeilles, altérant leurs fonctions cognitives et affaiblissant leur système immunitaire. Cela peut indirectement compromettre la gestion du varroa en affectant la santé globale des colonies [15].

 

  1. Fongicides: Bien qu’ils ne ciblent pas directement les insectes, des fongicides comme le chlorothalonil et le propiconazole peuvent interagir avec d’autres pesticides, augmentant leur toxicité pour les abeilles. Ces interactions peuvent indirectement affecter le comportement des varroas. Des expériences ont montré que les fongicides peuvent intensifier la toxicité des insecticides, entraînant une mortalité accrue et des effets sublétaux chez les abeilles. Cela affaiblit leur capacité à lutter contre les varroas et à faire face à d’autres facteurs de stress [16].

 

  1. Herbicides: Le glyphosate, un herbicide largement utilisé, a démontré une altération du microbiote intestinal des abeilles, ce qui peut affecter leur santé globale et augmenter leur sensibilité aux ravageurs et aux maladies [17].

4. Observations sur le terrain et preuves expérimentales

Les observations de terrain des apiculteurs ont révélé une corrélation entre le déplacement des abeilles vers certaines cultures et une augmentation des infestations par les varroas, en particulier dans les cultures traitées aux néonicotinoïdes [2]. Dans cette étude, les colonies exposées aux néonicotinoïdes ont montré des taux de parasitisme par les varroas nettement plus élevés que les colonies témoins.

 

5. Diversité génétique et résilience des colonies

Bien que la diversité génétique au sein des colonies d’abeilles améliore leur survie et leur résilience face aux stress [18], l’étude de Bartlett et al. (2024) [2] montre qu’elle ne compense pas les effets néfastes de l’exposition aux néonicotinoïdes sur les taux d’infestation par les varroas. La diversité génétique, bien qu’elle favorise la spécialisation des tâches et la résistance aux maladies, semble être surpassée par le stress important induit par les pesticides, réduisant ses avantages.

 

6. Implications pour les pratiques apicoles

Les résultats de cette étude montrent l’importance de repenser les pratiques apicoles, notamment dans les régions où les cultures sont traitées avec des néonicotinoïdes. Ces produits chimiques peuvent aggraver les infestations de varroa, compromettant ainsi la santé des colonies d’abeilles. Il est donc essentiel que les apiculteurs soient conscients de ces risques et explorent des stratégies alternatives pour limiter l’impact des pesticides sur leurs ruches. Comprendre les interactions complexes entre les néonicotinoïdes, le varroa et la santé des abeilles est crucial pour développer des approches intégrées adaptées aux défis posés par l’agriculture moderne.

 

 

Références:

  1. Oliver, R. A Study on Bee Drift and Mite Immigration: Part 1. 2023. American Bee Journal, February.

  2. Bartlett, L.J., Alparslan, S., Bruckner, S., Delaney, D.A., Menz, J.F., Williams, G.R., Delaplane, K.S. 2024. Neonicotinoid exposure increases Varroa destructor (Mesostigmata: Varroidae)mite parasitism severity in honey bee colonies and is not mitigated by increased colony genetic diversity, Journal of Insect Science, Volume 24, Issue 3, May 2024, 20. https://doi.org/10.1093/jisesa/ieae056

  3. Goulson D, Nicholls E, Botías C, Rotheray EL. 2015. Bee declines driven by combined stress from parasites, pesticides, and lack of flowers. Science. 347(6229):1255957. https://doi.org/10.1126/science.1255957

  4. Bird G, Wilson AE, Williams GR, Hardy NB. 2021. Parasites and pesticides act an­tagonistically on honey bee health. J Appl Ecol. 58(5):997–1005. https://doi.org/10.1111/1365-2664.13811

  5. Buszewski B, Bukowska M, Ligor M, Staneczko-Baranowska I. 2019. A holistic study of neonicotinoids neuroactive insecticides—properties, applications, occurrence, and analysis. Environ Sci Pollut Res 26, 34723–34740. https://doi.org/10.1007/s11356-019-06114-w

  6. Zuščíková, L.; Bažány, D.; Greifová, H.; Knížatová, N.; Kováčik, A.; Lukáč, N.; Jambor, T. Screening of Toxic 2023. Effects of Neonicotinoid Insecticides with a Focus on Acetamiprid: A Review. Toxics  11, 598. https://doi.org/10.3390/toxics11070598

  7. Pereira, N.C., Diniz, T.O., Ruvolo-Takasusuki, M. C. C. 2020. Sublethal effects of neonicotinoids in bees: a review. Scientific Electronic Archives 13 (7), 142-152. http://dx.doi.org/10.36560/13720201120

  8. Di Prisco, G., Cavaliere, V., Annoscia, D., Varricchio, P., Caprio, E, Nazzi, F., Gargiulo, G., and Pennacchio, F. 2013. Neonicotinoid clothianidin adversely affects insect immunity and promotes replication of a viral pathogen in honey bees. Applied Biological Sciences. 110 (46) 18466-18471. https://doi.org/10.1073/pnas.1314923110

  9. Annoscia, D., Di Prisco, G., Becchimanzi, A. et al.Neonicotinoid Clothianidin reduces honey bee immune response and contributes to Varroa mite proliferation. Nat Commun11, 5887 (2020). https://doi.org/10.1038/s41467-020-19715-8

  10. Morfin, N., Goodwin, P.H., Hunt, G.J., Guzmán-Novoa E. 2019. Effects of sublethal doses of clothianidin and/or V. destructor on honey bee (Apis mellifera) self-grooming behavior and associated gene expression. Sci Rep 9, 5196. https://doi.org/10.1038/s41598-019-41365-0

  11. Collison, E., Hird, H., Cresswell, J., Tyler, C. 2016. Interactive effects of pesticide exposure and pathogen infection on bee health – a critical analysis. Biological reviews. 91, (4), 1006-1019. https://doi.org/10.1111/brv.12206

  12. Thompson, H.M., Brown, M.A., Ball, R.F. and Bew, M.H. 2002. First report of Varroa destructor resistance to pyrethroids in the UK. Apidologie, 33, (4), 357-366. DOI: https://doi.org/10.1051/apido:2002027

  13. González-Cabrera J, Davies TGE, Field LM, Kennedy PJ, Williamson MS (2013) An Amino Acid Substitution (L925V) Associated with Resistance to Pyrethroids in Varroa destructor. PLoS ONE 8(12): e82941. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0082941

  14. González-Cabrera, J., Bumann, H., Rodríguez-Vargas, S. Kennedy, P.J., Krieger, K., Altreuther, G., Hertel, A., Hertlein, G., Nauen, R., Williamson, M.S. 2018. A single mutation is driving resistance to pyrethroids in European populations of the parasitic mite, Varroa destructor. J Pest Sci 91, 1137–1144. https://doi.org/10.1007/s10340-018-0968-y

  15. Fellows, C.J., Anderson, T.D., Swale, D.R. 2022. Acute toxicity of atrazine, alachlor, and chlorpyrifos mixtures to honey bees. Pesticide Biochemistry and Physiology, 188, 105271. https://doi.org/10.1016/j.pestbp.2022.105271.

  16. Schuhmann, A., Schmid, A.P., Manzer, S., Schulte, J, Scheiner, R. 2022. Interaction of Insecticides and Fungicides in Bees. Front. Insect Sci., Vol.1. https://doi.org/10.3389/finsc.2021.808335

  17. Motta E.V.S, Moran N.A. 2020. Impact of Glyphosate on the Honey Bee Gut Microbiota: Effects of Intensity, Duration, and Timing of Exposure. mSystems 5:10.1128/msystems.00268-20. https://doi.org/10.1128/msystems.00268-20

  18. Desai, S.D., Currie, R.W. Genetic diversity within honey bee colonies affects pathogen load and relative virus levels in honey bees, Apis melliferaBehav Ecol Sociobiol 69, 1527–1541 (2015). https://doi.org/10.1007/s00265-015-1965-2

  19. Vilarem, C.; Piou, V.; Vogelweith, F.; Vétillard, A. 2021. Varroa destructor from the Laboratory to the Field: Control, Biocontrol and IPM Perspectives—A Review. Insects 12, 800. https://doi.org/10.3390/insects12090800

  20. Lester, P.J. Integrated resistance management for acaricide use on Varroa destructor. 2023. Front. Bee Sci., Vol 1. https://doi.org/10.3389/frbee.2023.1297326
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