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Même concentration, résultats différents : comprendre la variabilité des traitements contre le varroa

Table des matières

L’impact de Varroa destructor sur les colonies d’abeilles est devenu une préoccupation mondiale, incitant à la recherche de nouveaux médicaments pour lutter contre cet acarien.1 Bien que l’on considère souvent le dosage en principe actif (ingrédient principal) du médicament comme le facteur déterminant le succès du traitement, la situation est en réalité plus complexe.

Plusieurs facteurs interconnectés jouent un rôle crucial : la pharmacocinétique (le devenir du médicament dans l’organisme du Parasite, appelé ADME : Absorption, Distribution, Métabolisme et Élimination), la pharmacodynamie (mécanisme d’action entre le médicament et le récepteur cible). La biologie de l’abeille est aussi un des facteurs principaux pour une efficacité optimale d’un traitement car nous traitons un acarien au milieu d’une population d’insecte.

Par ailleurs, il est important de considérer les impacts potentiels de traitements varroa avec des concentrations plus élevées sur la santé des colonies. Les effets peuvent être immédiats, comme la mortalité, ou à long terme2, tels que la perturbation de l’écosystème microbien au niveau intestinal et des altérations des capacités cognitives, notamment l’apprentissage olfactif et la mémoire.3,4 De plus, une concentration plus élevée peut également entraîner une accumulation de résidus dans les colonies, risquant de favoriser le développement d’une résistance au principe actif du traitement.

1. Une concentration plus élevée ne garantit pas une plus grande efficacité

La concentration en principe actif définit certes un certain niveau d’efficacité contre Varroa destructor, mais elle ne constitue pas le seul facteur garantissant l’efficacité du traitement. En conséquence, augmenter aveuglément les quantités du principe actif pour atteindre une meilleure efficacité n’est pas forcément une solution valable. Malheureusement, c’est pourtant ce que l’on observe régulièrement sur le terrain.


Dans les colonies, l’efficacité du traitement est influencée par une série de facteurs, tels que les méthodes d’application, la complexité structurelle de la ruche et le comportement des abeilles elles-mêmes.


Des recherches récentes menées par Pohorecka et al. (2021)5 ont mis en évidence la complexité de la dynamique des concentrations de thymol dans les colonies d’abeilles, révélant des variations significatives en fonction des méthodes d’application et des facteurs environnementaux. Ces résultats soulignent l’importance de prendre en compte différents facteurs dans les évaluations de l’efficacité des traitements et des stratégies de formulation.


La gestion d’un équilibre précis entre l’efficacité du traitement contre les parasites et la réduction de l’impact sur la santé des abeilles est également essentielle pour maintenir l’équilibre de l’écosystème de la colonie.


En plus de l’ingrédient actif, la forme galénique6 joue un rôle déterminant dans la libération contrôlée du médicament, nécessaire pour cibler efficacement les espèces nuisibles tout en minimisant les effets sur les abeilles.7


Pour illustrer notre propos, voici deux exemples d’études internes (menées par notre département R&D), avec des concentrations identiques de principes actifs, mais avec des formulations différentes.


Notre équipe de Recherche et Développement
a effectué ces essais dans le cadre d’un projet consistant à reformuler des molécules déjà utilisées en apiculture, afin d’améliorer leur efficacité, leur rapidité d’action ou leur mode d’application.



Étude n° 1 : L’essai visait à comparer la concentration et la forme galénique pour un même principe actif : 110 mg ou 220 mg, sous forme de comprimé ou sous forme de gel dans une coupelle (voir photos ci-dessous).

  • Groupe n° 1 : 1 comprimé de 110 mg pendant 7 jours.
  • Groupe n° 2 : 1 comprimé de 220 mg pendant 7 jours.
  • Groupe n° 3 : 1 coupelle de 110 mg pendant 7 jours.
  • Groupe n° 4 : 1 coupelle de 220 mg pendant 7 jours.
Même concentration, résultats différents : comprendre la variabilité des traitements contre le varroa
©Véto-pharma
Même concentration, résultats différents : comprendre la variabilité des traitements contre le varroa
©Véto-pharma

Les résultats ci-dessus montrent la mortalité cumulée des varroas durant les 10 jours de traitement. Ils suggèrent que les traitements 1 et 2 (comprimés) ont été moins efficaces pour réduire les varroas que les traitements 3 et 4 (gel dans coupelles). Ceci illustre comment le même dosage, mais avec des formulations différentes, peut donner des résultats nettement différents. On observe également que le doublement de la concentration dans le traitement 4 n’a pas entraîné une meilleure efficacité par rapport au traitement 3.

 

Étude n° 2 : Comparaison de 3 lanières acaricides différentes, basées sur le même ingrédient actif, avec la même concentration dans chaque lanière.

Même concentration, résultats différents : comprendre la variabilité des traitements contre le varroa

Sur ce graphique, vous pouvez voir trois lanières acaricides différentes (A, B et C) basées sur le même ingrédient actif, avec exactement le même dosage. Quel est le seul changement ? La formulation des lanières. Vous pouvez clairement voir une amélioration de la cinétique dans la lanière C par rapport à la lanière A.

 

2. Concentrations identiques, taux de mortalité des abeilles différents

L’efficacité d’un traitement n’est pas le seul critère à considérer ; la formulation du médicament joue également un rôle crucial sur la santé des colonies. Un moyen simple pour évaluer cet impact est de mesurer la mortalité des abeilles après application du traitement.


En 2019, par exemple, un essai a été mené dans notre rucher de R&D en France. Vingt-quatre colonies y ont été divisées en trois groupes :

  • Groupe 1 – Lanières acaricides enregistrées pour l’abeille (500mg)
  • Groupe 2 – Lanières de paraffine avec le même principe actif (110mg)
  • Groupe 3 – Lanières de paraffine avec le même principe actif (500mg)


Les colonies traitées avec le groupe 1 et celles traitées avec le groupe 3 ont reçu la même quantité d’ingrédient actif. Cependant, le graphique montre une différence significative dans la mortalité cumulée des abeilles entre les deux groupes.

Même concentration, résultats différents : comprendre la variabilité des traitements contre le varroa
©Véto-pharma

Cette divergence met en lumière l’importance de la formulation du médicament et de la manière dont les ingrédients actifs sont libérés dans la ruche. Cela illustre également pourquoi choisir un traitement basé uniquement sur la concentration la plus élevée de l’ingrédient actif peut s’avérer trompeur, et pourquoi réaliser ses traitements « maison » peut être dangereux pour les colonies (au-delà d’être totalement interdit).

3. Comprendre la pharmacocinétique et la pharmacodynamique

Pour combattre efficacement le varroa dans les colonies tout en préservant la santé de ces dernières, il faut comprendre la pharmacocinétique et la pharmacodynamique8.


La pharmacocinétique examine comment les médicaments sont absorbés, distribués, métabolisés et éliminés par les abeilles et les acariens. Cette discipline permet une meilleure compréhension du parcours du principe actif et d’élaborer des plans de traitement qui minimisent les dommages aux abeilles, réduisent les résidus et diminuent la toxicité environnementale.


Des études comme celles de Gregorc et al. (2020)9 soulignent l’importance d’adapter les traitements au métabolisme spécifique des abeilles, en citant par exemple la différence d’action de l’acide formique entre le couvain et les ouvrières. De même, Smart et al. (2023)10 recommandent d’ajuster le timing des traitements en fonction de la dynamique de la colonie pour optimiser leur efficacité, tout en tenant compte des interactions complexes entre la concentration du traitement, sa pharmacocinétique, et la biologie de l’abeille.


La pharmacodynamique, quant à elle, se concentre sur l’action du médicament lorsqu’il se lie aux récepteurs ciblés, et pose un défi particulier en termes d’évaluation de l’efficacité et de la sécurité des traitements contre le varroa. Les recherches de Nazzi et al. (2022)11 montrent des stratégies de contrôle prometteuses en ciblant des voies biochimiques spécifiques chez les acariens, mais il reste des lacunes dans notre compréhension des mécanismes d’action des traitements habituels, ce qui peut entraîner des dosages inappropriés et des échecs de traitement.


De plus, l’interaction des acaricides avec d’autres substances chimiques dans la ruche et l’environnement, comme les fongicides, peut complexifier et potentialiser la toxicité des traitements. Des études ont révélé que l’induction et l’inhibition enzymatiques peuvent modifier considérablement les effets des médicaments.12,13,14

4. L'impact des résidus sur le bien-être des abeilles et le développement de la résistance

Les acaricides, bien qu’essentiels dans la lutte contre le varroa, laissent des résidus dans les produits de la ruche, posant parfois des risques pour la santé des colonies, la qualité des produits apicoles et l’environnement.15 Le principal défi consiste à trouver un équilibre entre une lutte efficace contre le varroa et la préservation de la santé des abeilles. Les résidus (provenant également de produits phytosanitaires) qui s’accumulent dans la cire, le miel et le pain d’abeille peuvent affecter le développement, le comportement et la santé globale de la colonie.16


Des recherches ont montré que certains acaricides, comme le tau-fluvalinate, le coumaphos17 et le fenpyroximate18, lorsqu’ils sont combinés avec d’autres substances comme les fongicides, peuvent augmenter leur toxicité, entraînant des taux de mortalité plus élevés chez les abeilles adultes.13,18


Une étude réalisée en 2021 par Benito-Murcia19 montre également que les résidus de tau-fluvalinate dans la cire peuvent entraîner l’accumulation de ce composé dans le corps gras des abeilles. Comme les varroas se nourrissent principalement de ces corps gras, cela pourrait augmenter leur exposition à des doses sublétales du pesticide, ce qui pourrait renforcer leur résistance à ce dernier.


Cette constatation souligne l’importance de sélectionner soigneusement les ingrédients actifs et de développer de nouveaux traitements contre le varroa qui tiennent compte de l’impact de l’accumulation de résidus.


En outre, les apiculteurs peuvent atténuer ces effets en renouvelant régulièrement leurs cires.

Points clés à retenir

  • La concentration et le dosage seuls ne garantissent pas l’efficacité du traitement. Un traitement peut être plus efficace qu’un autre, malgré une concentration moins élevé.
  • Il est essentiel de trouver un juste équilibre entre la toxicité pour le varroa et un impact minimal sur la santé des abeilles, car des concentrations élevées d’acaricides peuvent avoir des effets néfastes tels que la toxicité, la perturbation du comportement instinctif et social et du système immunitaire.
  • L’optimisation de l’efficacité des médicaments exige un examen minutieux des méthodes d’application et de la vie réelle de la ruche.
  • L’intégration des principes pharmacocinétiques/dynamiques à la physiologie de l’abeille peut permettre des stratégies de lutte plus ciblées et durables contre le varroa.
  • Le suivi et la gestion de l’accumulation de résidus d’acaricides dans les produits de la ruche sont essentiels pour atténuer les risques d’exposition chronique, de toxicité synergique potentielle pour les abeilles et de développement d’acariens résistants.


Les laboratoires pharmaceutiques comme le nôtre sont responsables du développement de traitements durables contre le varroa, mais les apiculteurs jouent également un rôle essentiel dans la gestion de la santé de leurs colonies. Nous vous encourageons à adopter une gestion intégrée des parasites, combinant des interventions mécaniques, biologiques et chimiques judicieuses.1,20


Des pratiques comme le comptage régulier des varroas, l’utilisation exclusive de médicaments enregistrés pour l’abeille, les méthodes biotechniques telle que la division des colonies et l’élimination du couvain mâle, le renouvellement fréquent des cires et le maintien de faibles niveaux de varroas tout au long de la saison sont essentielles. Ces mesures proactives sont fondamentales pour la vitalité et la productivité des colonies, assurant ainsi leur bien-être et leur capacité de production.

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Références:

1 Cameron J Jack, James D Ellis, Integrated Pest Management Control of Varroa destructor (Acari : Varroidae), the Most Damaging Pest of (Apis mellifera L. (Hymenoptera : Apidae)) Colonies, Journal of Insect Science, Volume 21, Issue 5, September 2021, 6, https://doi.org/10.1093/jisesa/ieab058

2 Bahreini R, Nasr M, Docherty C, de Herdt O, Muirhead S, Feindel D. Evaluation of potential miticide toxicity to Varroa destructor and honey bees, Apis mellifera, under laboratory conditions. Sci Rep. 2020 Dec 9;10(1):21529. doi : 10.1038/s41598-020-78561-2. PMID : 33299084 ; PMCID : PMC7726572.

3 Motta EVS, Mak M, De Jong TK, Powell JE, O’Donnell A, Suhr KJ, Riddington IM, Moran NA. Oral or Topical Exposure to Glyphosate in Herbicide Formulation Impacts the Gut Microbiota and Survival Rates of Honey Bees. Appl Environ Microbiol. 2020 Sep 1;86(18):e01150-20. doi : 10.1128/AEM.01150-20. PMID : 32651208 ; PMCID : PMC7480383.

4 Sandoz JC. Étude comportementale et neurophysiologique de la perception et de l’apprentissage olfactifs chez l’abeille. Front Syst Neurosci. 2011 Dec 8;5:98. doi : 10.3389/fnsys.2011.00098. PMID : 22163215 ; PMCID : PMC3233682.

5 Pohorecka, K., et al (2021). Dynamique de la concentration de thymol dans les colonies d’abeilles et son impact sur la lutte contre Varroa. Journal of Economic Entomology, 114(3), 1380-1387.

6 La forme galénique est la forme sous laquelle sont mis les principes actifs et les excipients (matières inactives) pour constituer un médicament. Par exemple : gellules, lanières, gel,…

7 Salkova D, Gurgulova K, Zhelyazkova I (2024) : Essai clinique de l’efficacité de trois compositions différentes de substances acaricides contre la varoose dans les colonies d’abeilles. Ankara Univ Vet Fak Derg, 71 (2), 157-163. DOI : 10.33988/auvfd.1033097.

8 Pharmacocinétique et pharmacodynamie de base : An Integrated Textbook and Computer Simulations, deuxième édition. Édité par Sara E. Rosenbaum. ©2017 John Wiley & Sons, Inc. Publié en 2017 par John Wiley & Sons, Inc.

9 Gregorc, A., et al. (2020). Comparative pharmacokinetics of formic acid in worker bees and brood (pharmacocinétique comparée de l’acide formique chez les abeilles ouvrières et le couvain). Journal of Apicultural Science, 64(2), 137-145.

10 Smart, M., et al. (2023). Integrating medication strategies with bee physiology for effective Varroa control. Journal of Apicultural Research, 62(1), 45-52.

11 Nazzi, F., et al. (2022). Nouveaux acaricides ciblant les acariens Varroa : Mechanisms of action and implications for honeybee health. Pest Management Science, 78(1), 82-91.

12 Biddinger, D. J., et al. (2013). Comparative toxicities and synergism of apple orchard pesticides to Apis mellifera (L.) and Osmia cornifrons (Radoszkowski). PloS one, 8(9), e72587.

13 Iwasa, T., et al. (2004). Mechanism for the differential toxicity of neonicotinoid insecticides in the honey bee, Apis mellifera. Crop Protection, 23(5), 371-378.

14 Johnson, R. M., et al. (2013). Acaricide, fungicide and drug interactions in honey bees (Apis mellifera) (Interactions entre acaricides, fongicides et médicaments chez l’abeille domestique). PloS one, 8(1), e54092.

15 Blacquière T., Smagghe G., van Gestel C.A., et al. (2012). Neonicotinoids in bees : a review on concentrations, side-effects and risk assessment. Ecotoxicology, 21(4) : 973-992.

16 Thompson H.M., Brown M.A., Ball R.F., et al. (2014). An investigation into the detection of pesticide residues in beeswax samples sourced from honey bee colonies (Apis mellifera) in England (Enquête sur la détection de résidus de pesticides dans des échantillons de cire d’abeille provenant de colonies d’abeilles (Apis mellifera) en Angleterre). Pest Management Science, 70(8) : 1255-1262.

17 Non autorisé en France pour le traitement du Varroa

18 Johnson, R. M., et al. (2013). Acaricide, fungicide and drug interactions in honey bees (Apis mellifera) (Interactions entre acaricides, fongicides et médicaments chez l’abeille domestique). PloS one, 8(1), e54092.

19 Benito-Murcia, María, et al. « Residual tau-fluvalinate in honey bee colonies is coupled with evidence for selection for Varroa destructor resistance to pyrethroids ». Insects 12.8 (2021) : 731.

20 https://www.epa.gov/safepestcontrol/integrated-pest-management-ipm-principles