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Cas clinique : Infestation varroa persistante malgré un suivi rigoureux

Table des matières

Cet article présente un cas clinique rédigé par le Dr Caroline Lantuejoul, vétérinaire spécialisée en apiculture et pathologies apicoles en Loire-Atlantique. Il expose une situation sanitaire dégradée sur un rucher, due à une pression varroa mal maîtrisée sur toute une saison, malgré une surveillance rigoureuse et des mesures de gestion mises en place par une apicultrice de loisir.

L’examen clinique a révélé des signes de pression varroa résiduelle après le traitement d’été, confirmés par des analyses complémentaires. Ce cas souligne l’importance d’un contrôle constant du varroa et de stratégies de lutte adaptées au niveau d’infestation des colonies. Il met aussi en évidence l’impact du changement climatique sur les pratiques apicoles, nécessitant une adaptation continue pour mieux gérer les infestations de varroas et les maladies virales associées.

1. Présentation : historique et motif de consultation

Il s’agit d’une apicultrice de loisir depuis 10 ans. En sortie d’hiver 2024, 2 colonies étaient présentes sur son rucher situé en campagne.

L’apicultrice travaille avec des ruches Dadant en bois, des fonds Nicot. Des isolants (partition comme isolant de toit) sont utilisés suivant la période de l’année. Une grille à reine est utilisée en systématique. Les pratiques apicoles sont rigoureuses avec des mesures d’hygiène et de suivi strictes. Le suivi des colonies est détaillé et enregistré dans un registre sanitaire. Les fonds sont changés à chaque printemps. Le matériel est nettoyé (grattage ou lavage) et désinfecté (flamme ou bain de soude à froid). Les cires sont renouvelées régulièrement, les années de pose de cire sont notées sur les têtes de cadres pour faciliter le renouvellement avec des cires qui proviennent du commerce (cire d’opercules).

Les colonies sont régulièrement pesées. Une perte de près de 2 kg de poids par ruche est enregistrée sur le début du mois d’avril. Des apports conséquents (sirop, candi, pate protéinée) ont été effectués entre février et mai. Ils ont été estimés entre 5 et 6 kg de sucre par ruche entre février et mai 2024. Un essaim artificiel a été réalisé le 3 avril 2024 à partir de 3 cadres de couvain de la colonie R2 au printemps 2024 ce qui peut en partie expliquer la perte de poids qui n’a pas été compensée rapidement. Les fécondations n’ont pas fonctionné sur la division réalisée et la colonie est devenue bourdonneuse.

Pour lutter contre varroa, l’apicultrice utilise généralement deux traitements dans l’année (un traitement d’été et un traitement hivernal) avec : une solution de longue action en fin de saison (en été) et une solution à action rapide en hiver (hors couvain).

Ci-dessous l’historique médicamenteux et son suivi :

  • Du 23 août 2023 au 14 novembre 2023 : un traitement estival (Traitement AMM – lanières à base d’amitraz) a été réalisé. Les lanières sont replacées dans le couvain à chaque visite.
  • Le 24 janvier 2024 : un traitement de rattrapage hivernal hors couvain (Traitement AMM – solution liquide à base d’acide oxalique) par dégouttement un peu tardif a été opéré.
  • Le 27 juillet 2024 : un traitement estival (Traitement AMM – lanières à base de fluméthrine) avec pose des 4 lanières dans le couvain est mis en place. Les lanières ont été replacées régulièrement dans le couvain. Une lanière est signalée comme tombée sur la 3ème semaine de traitement.

Des comptages varroas sont réalisés sur lange très régulièrement. 38 jours de comptages sont recensés sur le registre d’élevage de l’apicultrice en 2024. Un bilan des comptages a été réalisé ci-après.

Deux cadres à jambage ont été mis en place en 2024 dans l’objectif de retirer du couvain mâle en saison pour lutter contre varroa. Un seul retrait de couvain mâle est enregistré le 19 mars.

Suite aux comptages sur lange trop importants en sortie d’hiver, 2 passages de médicament (Traitement AMM à base d’acide oxalique et acide formique) à 1 semaine d’intervalle par dégouttement ont également été réalisés fin mars 2024.

Une visite a été réalisée le 24 septembre 2024 sur la ruche restante, à la suite d’une infestation varroa jugée comme trop importante malgré le traitement varroa mis en place au cours de l’été.

2. Examen clinique

Lors de la visite, la ruche est correctement entretenue, tout comme le rucher. Un champ de moutarde en fleurs est présent à l’arrière du rucher.

Inspection des colonies :

Une bâche de protection est installée devant les emplacements afin d’optimiser l’observation des colonies et l’entretien du rucher.  Avant l’ouverture des colonies, 3 abeilles sont mortes sur la bâche de protection, au pied de la ruche. Ces abeilles présentent des ailes atrophiées.

Abeilles aux ailes atrophiées trouvées au pied de la ruche.

A l’ouverture, la colonie est populeuse et les abeilles sont réparties sur 10 cadres. Les réserves en miel comme en pollen sont satisfaisantes. Il est signalé par l’apicultrice que la reine est de 2023. La colonie présente 8 cadres de couvain. Le couvain est en mosaïque. Des cellules sont percées affaissées. Du couvain chauve est présent avec des nymphes qui sont parfois atrophiées ou malformées (ailes atrophiées). Quelques abeilles à naître sont mortes la langue tirée. On note également la présence du couvain sacciforme. Les abeilles sont de taille normale notamment les abeilles naissantes. Aucune abeille aux ailes déformées ni de varroas phorétiques ont été observés.

Cas clinique : Infestation varroa persistante malgré un suivi rigoureux.

Prélèvements pour analyses :

Des prélèvements d’abeilles intérieures asymptomatiques et de couvain ont été réalisés.

3. Examens complémentaires :

Deux comptages de varroas phorétiques ont été réalisés au CO2 lors de la visite. Les résultats étaient près du seuil d’alerte pour la saison :

  • 3 varroas pour 37 g d’abeilles (1,6 varroas phorétiques pour 100 abeilles).
  • 4 varroas pour 38 g d’abeilles (2 varroas phorétique pour 100 abeilles).

Une analyse PCR multivirus a été réalisée :

  • Sur les abeilles d’intérieures : les charges virales mesurées étaient conséquentes pour le DWV-B (3,9*1011 copies de génome/abeille), pour le BQCV (1,3*1010copies de génome/abeille) et pour le SBV (2,3*109copies de génome/abeille). Les virus ABPV, DWV-A et CBPV n’ont pas été détectés.
  • Sur le couvain : les charges virales mesurées étaient conséquentes pour le DWV-B (1,1*1012copies de génome/abeille), pour le SBV (2,2*1011copies de génome/abeille). Le BQCV a été détectée avec une charge virale de 1,4*105copies de génome/abeille). Les virus ABPV, DWV-A et CBPV n’ont pas été détectés.

 

Mémo virus de l’abeille :

DWV-A (Deformed Wing Virus de type A) – Virus des ailes déformées A : Ce virus est l’un des plus courants et des plus destructeurs pour les abeilles mellifères. Il est souvent transmis par le varroa (Varroa destructor) et provoque des malformations des ailes, empêchant les abeilles de voler et réduisant leur espérance de vie.

DWV-B (Deformed Wing Virus de type B) – Virus des ailes déformées B : Variante du DWV-A, il est également transmis par le varroa mais semble plus virulent dans certains contextes. Des études suggèrent qu’il pourrait être plus létal pour les colonies infestées.

BQCV (Black Queen Cell Virus) – Virus des cellules royales noires : Ce virus affecte principalement les larves des reines, entraînant leur mort et le noircissement des cellules royales. Il est souvent associé au stress et à la présence de parasites comme le petit coléoptère des ruches (Aethina tumida).

SBV (Sacbrood Virus) – Virus du couvain sacciforme : Il attaque le couvain d’abeilles mellifères et empêche le développement normal des larves. Les larves infectées prennent une apparence translucide et remplie de liquide, ressemblant à un sac, avant de mourir.

ABPV (Acute Bee Paralysis Virus) – Virus de la paralysie aiguë des abeilles : Ce virus provoque une paralysie rapide et la mort des abeilles adultes, en particulier celles qui sont affaiblies par le varroa. Il entraîne souvent des pertes importantes dans les colonies infestées.

CBPV (Chronic Bee Paralysis Virus) – Virus de la paralysie chronique des abeilles : Responsable de la « maladie noire » des abeilles, il entraîne une perte de poils sur l’abdomen, rendant les abeilles brillantes et noires. Les individus touchés deviennent incapables de voler et finissent par mourir en masse.

4. Traitement et CAT

Au vu de la pression varroa résiduelle lors de la visite, il a été décidé la réalisation d’un traitement flash complémentaire à base d’acide formique (Traitement AMM) sur une semaine.

Des comptages ont été réalisés début novembre pour mesurer une nouvelle fois la pression varroa résiduelle. Les données de comptages étaient plus favorables bien qu’encore élevées (1,5 varroas par jour). Le traitement hivernal habituellement mis en place devrait permettre de repartir sur une pression satisfaisante en 2025.

5. Discussion & conclusion

Ce cas clinique illustre plusieurs points importants. Dans un premier temps on peut noter l’importance de la surveillance des colonies et la notion d’indicateurs nécessaires pour estimer la pression varroa des colonies à des périodes clés de la saison. Le suivi de la pression varroa via les comptages se montre indispensable. L’observation clinique (= visuelle) est insuffisante pour détecter des pressions varroas trop importantes au niveau des colonies avec le risque d’intervenir trop tardivement.

On peut également voir la difficulté de maîtriser une pression varroa trop importante en saison. Un traitement n’est jamais efficace à 100 % et un seul médicament d’été peut ne pas être suffisant pour obtenir une baisse suffisante de la pression varroa si les charges initiales sont trop importantes. L’infestation varroa doit être maîtrisée tout au long de la saison et il est important de repartir sur une saison avec une pression initiale satisfaisante pour limiter la croissance exponentielle du varroa et ses effets délétères sur les abeilles.

 Plusieurs phénomènes sont aujourd’hui à prendre en compte, en lien avec le dérèglement climatique notamment :

  • La période atypique de disette a été compensée par l’apicultrice avec des apports conséquents en saison. La colonie n’a probablement pas été impactée de façon majeure en saison, ce qui a pu contribuer également à la multiplication des varroas.
  • Les périodes de rupture de ponte semblent de plus en en plus courtes voire absentes ce qui est donc favorable à la multiplication continue du parasite dans un premier temps mais cela complique également l’application des traitements hivernaux qui vont de ce fait être moins voire peu efficaces. Dans le cas clinique présenté, le traitement hivernal réalisé a été probablement trop tardif et en présence de couvain.
  • La présence de cultures intermédiaires en fin de saison (fin septembre) a créé une dynamique des colonies en fin de saison qui étaient populeuses mais une reprise anticipée de la multiplication des varroas résiduels post traitement avec un traitement d’été réalisé en respectant l’AMM sur une période de 6 semaines.
Cas clinique : Infestation varroa malgré un suivi rigoureux.

Il semble ainsi essentiel d’adapter les mesures de lutte suivant le niveau d’infestations des colonies dans une stratégie de lutte intégrée (médicament et biotechnie).

Pour cela, travailler sur des ruptures de ponte artificielles (retrait de couvain, encagement, …) pour optimiser l’efficacité des médicaments mis en place et adapter les mesures de lutte à l’infestation des colonies devient inévitable.

L’observance de l’utilisation des médicaments est un point aussi important à aborder. Dans le cas décrit ci-dessus, une des lanières est tombée en période de traitement. Les chutes de varroas mesurées par l’apicultrice ont sur cette période été divisées par 2. Le médicament d’été utilisé était un médicament fonctionnant par contact, un sous dosage a entraîné un retard dans l’efficacité du traitement. L’activité des colonies est également essentielle pour une bonne efficacité de ces médicaments fonctionnant par contact.

Les charges virales détectées étaient également conséquentes notamment pour le DWV-B et le SBV.

 

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