Dans cet article, nous présentons deux cas cliniques de virus de la paralysie chronique des abeilles (CBPV – Chronic Bee Paralysis Virus) provenant d’Espagne. Nous tenons à remercier Ana Mompó et Inma Segura (ADS APIVAL), ainsi que Fernando Calatayud et Enrique Simó (ADS APIADS), pour avoir fourni ces cas éclairants. Avant d’examiner les cas spécifiques, nous passerons en revue l’étiologie, la pathogenèse, la transmission et les symptômes du CBPV.
Le virus de la paralysie chronique des abeilles (CBPV), également appelé « Maladie noire », est composé de deux molécules d’ARN à brin positif distinctes. Sa classification reste incertaine bien qu’il présente des similitudes avec les familles de virus des plantes Tombusviridae et Nodaviridae [1].
Une hausse notable de l’incidence et de la charge virale du CBPV a été observée en Europe, en Asie et aux États-Unis [2].
La transmission naturelle du virus au sein des colonies se fait principalement par contact direct (frottement) entre abeilles infectées et saines, ainsi que par exposition aux excréments des abeilles malades. Le virus peut infecter les abeilles à tous les stades de leur développement. Le risque de transmission augmente lors des périodes de mauvais temps au printemps, lorsque les ruches sont surpeuplées et très actives, empêchant les abeilles de butiner [3].
Les cas les plus graves, notamment en Espagne, se sont produits dans de telles conditions. Par exemple, les fortes pluies persistantes du printemps 2020 en Méditerranée ont coïncidé avec de nombreux foyers sévères de CBPV, et des cas similaires ont été recensés au printemps 2024 dans certaines régions de l’intérieur de la péninsule Ibérique.
Bordin et al. (2022) [4] ont étudié l’incidence de plusieurs pathogènes dans le nord-est de l’Italie. Concernant le CBPV, ils ont constaté une prévalence très élevée au printemps 2020 (98,8 %) et 2021 (82,2 %). Ils soulignent que l’apparition de la forme clinique du CBPV est souvent liée à des épisodes de surpeuplement dans les ruches, aggravés par des périodes de mauvais temps inattendu au printemps ou en été, ainsi que par la consommation de miellat. Cette relation entre la virose et la consommation de miellat est bien connue, au point que la maladie est parfois appelée « maladie des forêts » dans certains pays européens.
Les symptômes caractéristiques du virus de la paralysie chronique des abeilles (CBPV) incluent :
Ces symptômes entraînent une dépopulation progressive des colonies, rendant celles-ci non viables et augmentant considérablement le taux de mortalité dans l’exploitation.
Le diagnostic différentiel consiste à identifier une maladie en la distinguant d’autres affections présentant des symptômes similaires. Dans le cadre du diagnostic différentiel du virus de la paralysie chronique des abeilles (CBPV), il est important de considérer les affections suivantes :
Ces conditions doivent être examinées afin d’exclure des causes potentielles de symptômes similaires.
Dans ce premier cas, les symptômes observés sont compatibles avec ceux causés par le virus de la paralysie chronique. Cette symptomatologie réapparaît régulièrement dans un seul rucher, appartenant à un apiculteur professionnel, chaque année au mois de février, depuis l’installation des ruches à cet emplacement en 2020.
Nous pensons que l’un des principaux facteurs déclencheurs pourrait être lié à la nourriture naturelle collectée par les abeilles dans cette région. En effet, ce phénomène ne se produit pas dans les autres ruchers de l’apiculteur, bien qu’ils soient gérés de manière identique.
Le rucher est situé dans une zone montagneuse de type méditerranéen, à 770 m d’altitude, sans cultures à proximité, ce qui permet d’écarter l’hypothèse d’une intoxication agro-environnementale. La flore locale est principalement composée de ciste, bruyère, romarin, thym, menthe pouliot, sarriette, queue-de-renard (Acalypha hispida), pissenlit, marrube, bourrache, chêne kermès, lentisque, ainsi que d’autres plantes moins abondantes. À environ 130 m du rucher se trouve une structure hydraulique, telle qu’un bassin d’irrigation.
Des études très récentes ont montré une corrélation directe entre le microbiote intestinal des abeilles et la transmission ainsi que la manifestation clinique du virus de la paralysie chronique. Les abeilles possèdent une flore intestinale relativement bien caractérisée [5], qui, comme chez les vertébrés, aide à la bonne assimilation des nutriments et joue un rôle clé dans l’immunité contre diverses maladies, notamment les infections virales.
Le CBPV utilise le système immunitaire de l’hôte pour réduire la population d’espèces probiotiques essentielles, ce qui favorise ensuite la prolifération d’agents pathogènes opportunistes et facilite l’infection virale. [2]
Il semble que l’environnement joue un rôle crucial dans la composition du microbiote intestinal des abeilles [6]. Cela pourrait expliquer pourquoi, bien que tous les ruchers de cet apiculteur soient gérés de manière identique, les infections récurrentes par le virus de la paralysie chronique persistent dans ce rucher particulier.
Pour prévenir ces infections, il serait intéressant d’envisager l’administration de compléments alimentaires favorisant la multiplication des « bonnes » bactéries intestinales chez les abeilles, afin de déterminer si cela réduit l’intensité de la maladie.
De plus, l’administration de probiotiques spécifiques pourrait également s’avérer une approche prometteuse dans cet objectif.
Ce cas est particulièrement extrême, mais illustre parfaitement l’effet amplificateur du confinement des abeilles lors de mauvais temps sur la transmission du virus de la paralysie chronique au sein de la ruche. Au printemps 2021, la région de la Ribera del Xúquer (Valence) a subi des pluies si intenses qu’elles ont provoqué des inondations occasionnelles dans certains champs proches des cours d’eau. Dans un rucher d’environ 20 ruches situé dans l’une de ces zones, le champ a été inondé jusqu’à un niveau de 40 à 50 cm, si bien que les ruches, bien que placées sur des supports métalliques, ont été partiellement submergées.
Ces ruches, très peuplées et contenant beaucoup de couvain, avec certaines déjà munies d’une hausse, ont contraint les abeilles à se confiner dans un espace réduit en raison de l’eau. Cela a fortement accru les contacts et frottements entre les abeilles. Quelques jours après la fin de l’inondation, des abeilles mortes ont commencé à apparaître dans la ruche, ainsi que des nymphes de couvain affectées par les conséquences de l’eau.
Peu après, de nombreuses abeilles présentant des tremblements, des paralysies et une cuticule noire brillante, caractéristiques de l’infection par le CBPV (« abeilles noires »), ont commencé à apparaître. L’infection était si grave qu’en l’espace de 2 à 3 semaines, des milliers d’abeilles mortes s’étaient accumulées près de l’entrée des ruches, tandis que des centaines d’autres montraient les symptômes typiques du virus.
À la fin de cette phase virale, plus de la moitié des ruches avaient subi une dépopulation quasi totale. D’autres ruches avaient subi des pertes si sévères qu’elles étaient devenues pratiquement non viables. Seules 4 ou 5 ruches, qui étaient moins vigoureuses avant l’inondation, ont réussi à survivre.
Le CBPV représente une menace significative pour les colonies d’abeilles, en particulier en cas de surpeuplement et de conditions météorologiques défavorables. Mieux comprendre le rôle de l’habitat et du microbiote intestinal dans la transmission du CBPV pourrait ouvrir la voie à de nouvelles stratégies préventives.
Des recherches supplémentaires sur l’utilisation de compléments alimentaires et de probiotiques pourraient offrir des solutions efficaces pour atténuer l’impact de ce virus sur les populations d’abeilles.
Références:
Copyright: National Bee Unit
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